La montée en puissance des idéologies créationnistes

La question du créationnisme ayant été abordée dans plusieurs articles de ce blog, je tiens donc à signaler un excellent livre de Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau qui vient de paraître aux éditions Belin : « Enquête sur les créationnismes – réseaux, stratégies et objectifs politiques » C’est un ouvrage remarquablement bien conçu. Il débute par une préface sous forme d’entretien avec l’évolutionniste Guillaume Lecointre, qui pose clairement le problème de la spécificité de la démarche scientifique et de la nécessaire neutralité de la recherche vis à vis de tous les discours politiques ou religieux. Ensuite, dans l’introduction, pour clarifier leur propos, les auteurs présentent une définition du créationnisme au sens large : « Toute tentative d’explication du monde naturel visant à prouver de manière active qu’une force surnaturelle et décisionnelle élabore le monde ».

Pour se limiter à une synthèse rapide des quatre principaux chapitres du livre, disons qu’ils présentent une étude très poussée et très bien documentée sur les différents types de créationnismes et sur leurs divergences et convergences, ainsi que sur leur combat contre la science. Ces divers courants vont des « purs et durs » qui prennent au pied de la lettre les textes sacrés et sont donc évidemment contre toute idée d’évolution des êtres vivants, jusqu’à ceux qui refusent l’étiquette de créationnistes et acceptent l’évolution. Mais ces derniers rejettent le darwinisme et donc la démarche des évolutionnistes scientifiques, dont le matérialisme et le rôle accordé au hasard sont incompatibles avec leur vision plus ou moins religieuse du monde. Certains vont même jusqu’à soutenir qu’il ne s’agit pas d’une théorie scientifique mais d’un dogme idéologique et le rendent responsable des pires barbaries racistes et nazies. Les lecteurs de ce blog n’en seront pas surpris. On retrouve là une situation tout à fait semblable à celle décrite dans le livre «Alterscience » d’Alexandre Moatti (voir le texte « Les multiples chemins de l’antiscience »), où les courants antiscience les plus divers, voire les plus opposés sur le plan idéologique, se rejoignent tous sur le rejet du darwinisme.

Les courants créationnistes les plus ouverts à l’idée d’évolution, que les auteurs du livre regroupent sous l’étiquette « créationnisme évolutionniste », comme la Fondation John Templeton (relayée en France par l’Université Interdisciplinaire de Paris), ou comme l’Église catholique, sont très actifs pour promouvoir le dialogue entre science et religion. Ceci pourrait paraître tout à fait normal de la part de croyants, la liberté de penser étant le premier des droits de l’homme. Mais l’enquête des auteurs montre bien que derrière cette volonté de dialogue se cache en réalité un vrai projet politique. La stratégie de ces institutions est en effet de « …solliciter la communauté scientifique sur des questions théologiques ; ils brouillent intentionnellement la frontière entre science et religion pour imposer dans la société des positions morales et religieuses ».

La cible privilégiée de tous ces mouvements est, bien évidemment, l’enseignement et plus particulièrement l’enseignement scientifique. Tout le monde a en tête le cas des États-Unis, bien sûr ; mais les auteurs montrent que cette situation est malheureusement de moins en moins isolée dans le « monde occidental ». Nous apprenons ainsi qu’au Royaume-Uni l’influence du créationnisme va de pair avec la place grandissante accordée à l’enseignement confessionnel. D’une manière générale, depuis une douzaine d’années, la montée des idées créationnistes, sur fond religieux, se manifeste dans toute l’Europe. Ils rappellent aussi que dans les années 2000 aux Pays-Bas, en Pologne, et en Italie, des ministres de l’enseignement s’en sont pris publiquement au darwinisme et ont tenté de promouvoir l’enseignement du créationnisme. L’alerte est donc très sérieuse, d’où l’importance de cette enquête très fouillée. J’ajouterais que mon expérience personnelle d’enseignant de génétique et de l’évolution confirme tout à fait cette montée du créationnisme dans la dernière décennie. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’avec l’application des politiques néolibérales en Europe, l’enseignement public a été affaibli au profit du privé. L’exemple de la France depuis au moins 2007 en est une bonne démonstration.

Le dernier chapitre du livre donne un aperçu très pertinent de l’impact et de la place des idées créationnistes dans la société française, avec une analyse très critique du rôle joué par les médias, dont l’audimat est souvent la seule ligne directrice et où les journalistes scientifiques sont très minoritaires (350 sur 50000 cartes de presse d’après les auteurs !). Il en résulte une très mauvaise information du public, parfois même une désinformation pure et simple, et donc un inquiétant déficit de culture scientifique en France.

Les différents chapitres sont agrémentés d’entretiens avec des scientifiques, philosophes, historiens ou sociologues qui donnent des éclairages intéressants sur des questions clés. L’un de ces entretiens est avec Dominique Guillo, sociologue et directeur de recherche au CNRS, à propos de son enquête sur la perception du darwinisme par le public en France, enquête dont les résultats ne laissent pas d’inquiéter ! Il en est question dans l’article de ce blog sur l’ineptie des soi-disant « OGM cachés ».

Personnellement, j’ai beaucoup apprécié que la bibliographie (très fournie) donne les adresses de nombreux sites internet, ce qui facilite considérablement l’accès à des compléments d’information.

L’ensemble de l’ouvrage est très sérieusement documenté et la mise en garde contre les dangers de ces offensives religieuses est tout à fait convaincante.

 Un livre à lire et faire lire sans modération. A méditer aussi, en élargissant le débat. Car s’il y a de multiples formes de créationnismes, il font eux-mêmes partie d’un ensemble plus vaste de courants antiscience ou si l’on préfère, d’obscurantismes, eux aussi très diversifiés et d’autant plus pernicieux qu’ils se cachent souvent, comme les « créationnistes scientifiques », sous des masques trompeurs et démagogiques. Il en a été question à diverses reprises dans ce blog.

 

 

 

 

7 réflexions au sujet de « La montée en puissance des idéologies créationnistes »

  1. Quand des scientifiques verses dans la partie font des travaux dans un domaine scientifique c’est appelé de la science, enfin je pense. S’ils sont pour la croyance au dogme d’il y a 150 ans celui de Darwin donc de l’evolutionnisme, c’est de la véritable science même quand les faits scientifiques sont contraires a la théorie.
    Ex: des radios-datations de lave d’eruption volcanique contemporaine (50 ans )
    Dont les résultats mentionnent plusieurs millions d’années.
    Quand de réels scientifiques dont un qui faisait parti de commissions scientifiques
    Le Dr Emil Silvestru font des travaux et qu’ils déclarent des résultats contraires a l’idéologie évolutionniste car qu’on le veuille ou non cela n’en demeure pas moins une, ils sont traites de pseudo scientifique moyenageux.
    Ex. La radio datation au C14 enregistre pour un boeuf musqué, 17 000 ans pour ses poils et 23 000 ans pour les muscles de son cou soit 6000 ans pour le même animal.
    Que de dégât cause par l’Église historique issue d’un pagano christianisme (bref).
    De quel cote l’honnêteté scientifique.
    Quand on observe toutes ces empreintes fossiles sur la roche et que l’on voit les même encore bien vivant n’ayant pas pris une patte ou une aile en plus on se demande pourquoi ce mythe est encore enseigne pour influenser les esprits.
    J’ai ma petite idée la dessus.
    Cordialement.

  2. Bonjour, votre article m’a interpellé.
    Effectivement il y a une incompréhension, totale, entre ces deux courants de pensée que sont, l’évolutionnisme et le créationnisme.
    On oppose, du coté des évolutionnistes, une théorie, dite scientifique, a une courant de pensée d’ordre religieux, donc de fait irrationnel, le créationnisme.
    Le problème, c’est qu’il y a aussi des créationnistes athés, qui n’admettent pas, que le hasard soit a l’origine de la vie. Cette vision n’est jamais ou quasiment jamais abordée.
    Des ouvrages sont écrits, des articles, etc…se concentrent sur l’étude psychique des créationnistes, mais jamais sur celle des évolutionnistes, alors que selon moi et beaucoup d’autres, il ne s’agit que de deux visions de la réalité.
    Les évolutionnistes, s’imaginent que du moment que l’évolutionnisme est étudié de façon scientifique, cela conduit inévitablement a l’évidence que ce serait la seule option envisageable sérieusement.
    Le « créationnisme scientifique », se pose comme le concurrent le plus sérieux contre l’évolutionnisme, et là, il y a un problème sérieux pour les évolutionnistes.

    • Encore un pas de plus et, comme certains évangélistes intégristes aux USA, vous en arriverez à dire que seul le créationnisme est scientifique et que l’évolutionnisme est un dogme religieux. Il suffirait d’ailleurs d’un tout petit pas puisque dans votre optique, créationnisme et évolutionnisme sont deux  visions de la réalité, c’est donc que l’une des deux est faussement scientifique et si vous croyez à la première « vision » (terme déjà très significatif), c’est que vous considérez bien sûr que la seconde est fausse.
      Votre texte contient un curieux oxymore : « les créationnistes athées » ! Qui dit création dit créateur non ? A partir de là, on ne comprend plus ce que signifie être athée. Selon vous, ces soi-disant créationnismes athées « n’admettent pas que le hasard soit à l’origine de la vie ». Il ne s’agit là que d’une position très subjective, pour ne pas dire affective, qui n’a rien à voir avec une démarche scientifique. Je rappelle en passant que le rôle du hasard dans l’évolution est souvent bien mal compris, les variations génétiques aléatoires ne sont que le matériau de l’évolution, son véritable « moteur » est la sélection naturelle. Il n’en reste pas moins que dans la conception évolutionniste, il n’y a aucune voie prédéfinie et que si le processus devait repartir à zéro, les résultats n’en seraient pas prévisibles.

      Le « créationnisme scientifique » n’est en aucun cas un problème intellectuel pour les évolutionnistes, ce n’est qu’une appellation sans consistance, la dernière trouvaille des créationnistes pour tenter de se mettre à égalité avec la connaissance scientifique, comme la grenouille de la fable qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Je ne connais aucun travail de recherche sérieux qui soit en faveur du créationnisme, les quelques soi-disant scientifiques qui sont créationnistes (sans vouloir l’avouer en général) plaquent sur des observations bien réelles les interprétations fantaisistes qui leur conviennent. On observe la même chose quand de prétendus scientifiques, sur de chauds sujets d’actualité, utilisent une parodie de science pour servir des buts politiques.

      • Evidemment il ne peut y avoir que deux hypothèses expliquant les origines de la vie.
        Ou bien nous sommes le résultat d’un processus évolutif, ou bien le résultat d’une création par une entité.
        Dans cette deuxième optique, soit cette entité est d’ordre immatériel, ou divin pour certains, soit, elle est totalement « matérielle », comme nous le sommes nous humains.
        Bien sur que, s’il s’agit d’ètres intelligents venus d’ailleurs que de la terre qui auraient créé la vie terrestre, les tenants de cette option peuvent se considérer comme tout a fait athés, au sens littéral du terme, et donc « créationniste athés ».
        La démarche scientifique de ce courant de pensée, est on ne peut plus scientifique, puisqu’elle attribue a des scientifique l’origine de la création biologique de la vie, par des procédés technologique.
        Si on s’attarde un tant soit peu, sur l’extraordinaire beauté de certains animaux ou plantes, il est pour moi plus qu’évident qu’elles le doivent a un designer.
        C’est en grande partie a cause de cela que de plus en plus de personnes, n’adhèrent plus aux idées évolutionnistes.
        Si vous pensez que le hasard a pu faire de telles merveilles, tant mieux pour vous, pour moi c’est totalement impossible.
        Maintenant vos jugement de valeurs sur la moralité des créationnistes, n’intéressent plus grand monde.
        Des chercheurs de renon, comme Denton, Behe et beaucoup d’autres, ont largement démontré de manière scientifique, que le processus évolutif est plus que contestable, pour ne pas dire impossible, c’est la raison pour laquelle de plus en plus de personnes partout dans le monde se retrouvent dans le courant « créationniste ».

  3. Ping : Lamarck and Darwin: two divergent visions of the living world - Encyclopédie de l'environnement

  4. J’y suis arrivé par hasard et j’y ai cheminé a reculons, au début.
    Intéressant, mais pour le mouton moyen (la plupart d’entre nous) qui passons notre temps a travailler, à tondre notre gazon,
    à conduire les enfants un peu partout, à faire l’épicerie et à passer le peu de temps qu’il nous reste à regarder la télé le cerveau vide
    et déconnecté de tout (c’est reposant et réconfortant) quel critères avons nous pour juger de la validité de théories scientifiques complexes et
    pourvus de vocabulaire que nous n’avons pas et couvrant des concepts encore plus obscurs?
    Pendant ce temps une grande partie de notre environnement fait la promotion des phénomènes magique, des films: Harry Potter, Le livre d’Éli,
    La passion du Christ; des bracelets « https://www.purnoisetier.com/fr/a-propos/histoire »;
    de nombreux sites web et magasins qui assurent que des pierres bleus vertes ou jaunes vont soulager notre arthrite , notre foie, nos reins (http://larochemere.fr/);
    des livres pour jeunes ados ou il est mis en scène un scientifique qui ne croit pas  » que l’homme descende du singe »
    (Codex Angelicus, Anne Robillard, « « Je savais bien que nous ne pouvions pas descendre du singe », songea le jeune savant, soulagé ») et tant d’autres…
    Alors que reste-t-il pour décider?
    Il reste à croire l’un ou l’autre. Dans les deux cas, dépourvu d’autres capacité, la solution reste à croire.
    J’ai souvent vu la question: « croyez-vous à la théorie de l’évolution? », rarement: « comprenez-vous…. »
    Une infime minorité ont eu la possibilité de suivre un cours de Pierre-Henri Gouyon sur l’évolution (ou un autre) et ainsi acquérir les moyens de comprendre cette théorie et ils ne font habituellement pas partie des moutons moyens.
    Il en reste qu’il est plus simple de croire en quelque chose que notre environnement nous affiche et nous répète jour après jours.

    Merci,
    Enirdas Sanscartiers

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